Ce n'est pas vraiment ton truc Pearl Jam. Bien sur tu avais acheté Ten en 91 ou 92, tu étais dans une période guitare. Et puis c'est tout. Même Mirrorball, la collaboration avec Neil Young te laisse plutôt dubitatif. Mais cette chanson, entendue durant le générique de fin de Big Fish t'a touchée. Comme le film d'ailleurs. Les deux sont peut être liés. Dans la voiture, en la raccompagnant, tu lui dis que l'écart entre la réalité et les histoires est peut être infime. Que c'est juste la façon de voir les choses qui fait la différence. Un peu comme parfois, une seule branche d'un arbre peut cacher le soleil, suivant l'angle, suivant la position. Il t'arrive souvent de jouer à cache-cache comme cela avec le soleil. Un léger mouvement de la tête et sa luminosité t'aveugle. Un autre léger mouvement et ton visage est dans l'ombre. Peut être dans la vie, faudrait-il pouvoir continuer à jouer avec ce petit équilibre précaire entre les histoires et la réalité. Juste pour pouvoir continuer de rêver...
"Every night you do not come, Your softness fades away" Et tu te retrouves encore à égrener tes vieux souvenirs un peu minable(s)... Ils partent de rien parfois. Et puis comme dans ces alignements de dominos, dès que le premier bascule, la réaction en chaîne est en marche. Ca a débuté samedi matin, chez Gibert-Joseph, en descendant l'escalator, parce qu'en bas, dans le rayon placé juste en face que l'on commence à détailler tandis que l'on descend, tu as vu la pochette de ce disque. Les rééditions des trois albums de Fleetwood Mac de la deuxième moitié des 70's étaient là, en évidence sur l'étagère du bas. Dont Tusk. Tusk. Le coup de marteau supplémentaire pour enfoncer le clou un peu plus profond. C'est la vue de la pochette qui a tout déclenché. Non. Non en fait tout est parti de ton rêve bien entendu. Ce n'était pas le bon jour pour tomber sur la réédition de cet album. "Did I ever really care that much, Is there anything left to say"
Ce disque te ramenait 24 ans en arrière. Lorsque justement tu traînais tout le temps avec Christine dont tu avais rêvé la nuit précédente. Ce samedi matin, tu chassas vite les images qui te venaient, négligeant le présentoir avec cet album. De toute manière tu n'écoutes plus ça depuis bien longtemps, plus vraiment ton truc ce rock FM cocaïné et plutôt mièvre. "Every hour of fear I spend, My body tries to cry, Living through each empty night"
Et puis hier soir tard tout est revenu comme un écho infernal qui n'en finirait pas de résonner. Tu as remis Tusk sur la platine. Tu n'as pas écouté tout l'album, juste une poignée de chansons. 4 ou 5. Pas plus. Les ballades. Une par face en gros. Pour retrouver quelques-unes des chansons que tu avais sélectionnées sur ta cassette faite pour la voiture il y a bien longtemps. Tu n'as jamais aimé cet album en entier. Juste les chansons lentes et mélancoliques. Déjà. Tu en avais fait une moitié de cassette C60. Impossible de te souvenir ce qu'il y avait sur l'autre face. La cassette a disparu depuis bien longtemps, volée dans la voiture comme beaucoup d'autres probablement ou bien effacée. "I haven't felt this way I feel, Since many a year ago"
Storms. Des tempêtes dans ton crane, il y en avait déjà à cette époque. Plus particulièrement dès que cette fille était près de toi. Même quand elle était loin d'ailleurs... Tu lui avais fait écouter au moins cinquante fois cette chanson. Tu devais te dire qu'en l'écoutant elle comprendrait tout ce que tu n'arrivais pas à lui dire. Ce qui était crétin. Mais tu as toujours été crétin avec les filles. Ca n'a pas vraiment changé. Et c'est cette chanson qui portait tous tes espoirs, malgré Sara (il a inspiré du monde ce prénom, Dylan, Radiohead, Mojave 3 et d'autres) sur le même album. Même si la plus belle devait être Beautiful Child sur la 4ème face. C'est Storms, aux faux airs de Suicide is painless, qui est restée. Si la musique de Fleetwood Mac craint un quart de siècle (Gosh!) plus tard (cela dit... il faut bien avouer que même à l'époque... mais ça marquait ta bascule vers une musique plus consensuelle par besoin d'acceptation...), cette chanson s'en sort plutôt bien et il reste quand même la voix de Stevie Nicks. Qu'est-ce qu'elle était jolie d'ailleurs à cette époque là... encore une blonde aux cheveux longs... "So I search to find an answer there, So I can truly win"
Cela devait bien faire près de 20 ans que tu n'avais pas écouté ce disque. Dès les premières notes, un flot d'images est venu t'assaillir. Tu t'es revu dans ta R16 TL bleu marine, écoutant cette cassette avec elle, assise sur le siège passager. Ses cheveux blonds qui brillaient dans le soleil. Ses sourires. Une balade dans la forêt de Fontainebleau par un après-midi ensoleillé d'avril ou de mai. L'odeur particulière qu'avait ta vieille renault fatiguée avec ses 170 000 km. Le son nasillard de l'autoradio. La route pour descendre sur la cote d'azur en août 80. Le décès de ton père. Ta chambre aussi, avec la fenêtre ouverte donnant sur les cheminées géantes de la centrale électrique de Vitry. La fac de La Varenne. Tous les instants passés avec cette fille, jouant les bons copains alors que tu te morfondais d'amour pour elle. Même après toutes ces années tu n'arrives pas à te dire que quelque part elle profitait de ta gentillesse à son égard. Elle t'appréciait tout simplement. Ou alors tu n'as pas perdu toute ta naïveté. Tu te souviens aussi de toutes ces frustrations, de tous ces désirs contenus, de tous ces sentiments non avoués, de tous ces moments de détresse, désespérant de susciter une quelconque pulsion amoureuse chez elle à ton égard. Parce qu'amoureuse elle l'était parfois. Mais pas de toi. Bien entendu tu avais droit à ses confidences en tant qu'ami, complice... L'achèvement des fondations de ton hypocondrie sentimentale... "So I try to say, Goodbye my friend, I'd like to leave you with something warm, But never have I been a blue calm sea, I have always been a storm"
Le pire est peut être qu'il t'arrive parfois de regretter cette époque. Pour tous les espoirs non encore perdus. Tu l'as repiquée sur ton vieux vinyle cette chanson. Tu avais envie que le son craque un peu. Parce que souvent tes vieux souvenirs sont un peu usés en surface. Aussi parce que quelque part, il vaut mieux que cela soit le disque qui craque.
"I should have known from the first, I'd be the broken hearted, But I loved you from the start"
On te demande hier soir à quoi ressemble la musique du fils de Ian Dury. Tu as vaguement bafouillé un truc idiot du genre trip-hop mélodique. N'importe quoi. Mélodique oui, la musique de du fils de Ian Dury l'est certainement. Mais on ne peut pas dire que trip-hop soit adapté, surtout pour le reste de l'album. Même si on trouve deux membres de Portishead sur cet album (ainsi que Richard Hawley sur cette chanson). De toute manière tu ne sais pas vraiment décrire la musique en général, tu as toujours du mal à trouver les mots justes. Sur All Music ils disent : Indie Rock, Neo-Psychedelia, Dream Pop ce qui laisse rêveur. Peu importe les mots d'ailleurs. L'important c'est l'émotion qui se dégage de cette chanson, avec les voix qui vibrent, ondulent, dont celle particulièrement étrange de Baxter Dury et puis cette musique comme des vagues venant s'échouer doucement sur une plage baignée par un coucher de soleil d'automne. Ce qui est plutôt ridicule comme image, tu l'admets bien volontiers. Mais le dimanche tu penses souvent à des couchers de soleil sur des plages méditerranéennes avec le massif des maures se découpant sur le ciel. Les paysages, les odeurs, les couleurs si particulières de cette région te manquent. C'est étrange de voir comme certaines sensations liées à des souvenir semblent s'éloigner, étrange de voir comme elles te semblent si inaccesibles maintenant...
Tu es retourné dans l'école des filles cet après-midi, le sourire aux lèvres. Le sourire est toujours là ce soir au vu des résultats. Même s'il y a des choses moins plaisantes comme le sale procès fait à Guillermito, représentatif d'un monde où il ne fait pas bon exprimer son point de vue objectif.
"now you know there's no light on the waves" Cela faisait bien quelques mois, mais elle ne déserte jamais tes rêves bien longtemps. Pourtant tu ne l'as plus vue depuis 1986, année de son mariage. Cette fille t'obsède toujours comme elle t'a toujours obsédé. Terrible constat après toutes ces années. Le rêve n'était pas très agréable. Tu allais avec elle dans une sorte de club de vacances à dortoirs collectifs/lits individuels. Elle te rejetait, une histoire avec le lit, elle avait des mots durs, ses longs cheveux blonds volant dans les airs au gré de ses brusques mouvements. Alors tu es parti. Tu restais à errer aux alentours de ce foutu club. De l'extérieur, tu guettais afin de voir quand il n'y avait plus personne dans le dortoir. C'est alors que tu revenais. Tu t'asseyais et regardais ses affaires étalées sur son lit. Minable. "and we all know there's no way out, I'll try and forget you"
Alors tu files à Paris et tu vas une nouvelle fois traîner au milieu des bacs à disques, entre les rayons de livres. Tu reviens les bras chargés. Tu avais trop besoin d'amour ce matin pour ne pas tenter de combler ce vide. Au retour, les jonquilles poussent place du Panthéon et le soleil donne à la pierre des immeubles parisiens l'éclat d'une beauté retrouvée. Il semble que ce soit une belle journée. "but before I go I must say, that in my heart you'll always be found, always but I'll try to forget you"
La morsure du froid sur la peau, ce froid qui semble noircir un peu plus le pavé parisien. Tu marches à ses cotés, étrangement léger malgré le rhume tenace qui t'affaiblit. Avec des rires dans la nuit. Les jours s'accumulent. Peut être même les semaines maintenant. L'avantage de ne plus rien espérer c'est de faire disparaître la déception. Il n'y a que ta vision de changée. Tes manques, tes désirs, tes envies sont toujours là. Inassouvis. Tu as juste abandonné l'espoir de les combler. Ce qui est terrifiant. Ne plus rien attendre en attendant tout. S'ancrer un peu plus dans l'immobilisme pour ne pas risquer la chute. Juste attendre qu'on te tende la main sans aller au devant de celle-ci. En même temps avoir l'impression de vivre un peu plus. Comme si ces contradictions paradoxales s'annulaient pour créer un point d'équilibre. Une zone neutre sans conflit. En espérant que ce ne soit pas l'oeil du cyclone. Tu te sens même désemparé devant cette situation. Tu trouves difficilement tes mots, sans la douleur pour les attiser.
Tu rêvais, dans un costume sombre, chemise blanche, cravate noire, teint pâle, joues creusées, de te jeter contre des amplis, de t'écorcher les doigts, de saigner sur scène, de te frapper la tête contre les micros. Tu aurais aimé, dans une cave voûtée, dans un faisceau de lumière blanche, jouer une musique froide et terrifiante, pour finir sur le papier glacé des magazines.
Un rêve parmi tant d'autres. De guitar hero à folk singer solitaire et torturé avec guitare en bois en passant par chanteur à crinière et punk rocker junky. Devant ta glace, des rêves tu en avais des tonnes. Tu finis derrière un bureau encombré de papiers inutiles. On rêve toujours de l'inaccessible.
"Mais qu'est-ce que je fous planté là, je n'y suis pas pour autre chose, que ce pourquoi elles s'illuminent, à mes yeux auxquels elles s'exposent"
Indéniablement tu cherches à accrocher des regards. Tu n'es pas certain d'avoir le courage de les soutenir mais tu les cherches. Tout à l'heure, ce soir, à ce cocktail d'inauguration, cette fille inconnue, nouvelle recrue probablement, jolie, sa silhouette, son sourire, son regard vif. Tu la regardes, tentes de capter un soupçon de son attention. Tu tournes la tête quand elle prend l'assemblée en photo. Tu exposes ton dos. Par crainte. Ta coupe de champagne à la main, tu écoutes distraitement tes interlocuteurs. Tu lances des "bien sur", des "c'est possible" et puis plus rien. Ton regard se promène dans l'assistance. A sa recherche. Et voilà tu ne vois plus qu'elle. Tu la suis du regard. Ailleurs. Tu croises une fraction de seconde ses yeux pétillants. Vite. Joli visage. Trop vite. Tout va trop vite. Tu as l'impression que le monde s'accélère autour de toi depuis quelques temps. Ou bien tu ralentis. Ou bien, ou bien... tu ne sais pas. Tout défile trop vite. Tu ne peux rien fixer. Les musiques, les personnes, les paysages, les sorties, les concerts, vite, trop vite. Tout défile trop vite. Tu es trop lent aussi. Il te faut du temps. Trop de temps. Elle a déjà tourné la tête. Alors tu abandonnes. Tu replonges dans les autres. Ceux dont tu te moques du regard. Et tu fais semblant, et tu t'intéresses, et tu joues à la pertinence, et tu bois ton champagne, et tu "mais bien entendu", et tu "c'est une évidence", et ça dure, et tu perds ton temps et tu relèves la tête et tu la cherches et elle n'est plus là. Vite. Trop vite. Elle est passée trop vite. "It's too late to be late again". Il est toujours trop tard trop vite.
"Cette attention qui, hors d'haleine, arrache à ces regards biaiseurs, celles dont ces nombreux fidèles, se font autant que moi envieux"
Tu te réveilles au son du dernier album de Divine Comedy. Tu laisses les chansons défiler avant de te lever. "William wakes with his clothes on, The morning call has been and gone". Tu as rêvé d'elle cette nuit. Tu ne te souviens plus du rêve, juste que tu l'embrassais à la terrasse ensoleillée d'un café et qu'elle avait la langue complètement sèche et râpeuse. Un baiser sans salive, sans désir. Tu as trouvé ça très déplaisant. Dans le rêve tu tentais d'éveiller un peu de passion dans son baiser. En vain. Son dédain et sa sécheresse, son absence étaient terrifiants. Tu ne comprenais pas. Pourquoi se laissait-elle embrasser sans envie? Les yeux grands ouverts, elle ne disait rien.
Les jours d'élection sont toujours très nostalgiques pour toi. Cela fait plus de quinze ans que tu as déménagé mais tu es toujours inscrit sur les listes de la commune où tu as grandi. Aujourd'hui, comme à chaque élection, tu as réalisé un de tes fantasmes d'enfant. Tu es entré dans l'ancienne école des filles puisque c'est que ton bureau de vote. Lorsque tu étais à l'école primaire, les garçons étaient séparés des filles. C'était ainsi dans les années 60. Un mur séparait les deux cours avec une porte en métal dont le trou de serrure était l'endroit le plus prisé et le plus risqué de toute la cour. Il y avait également deux entrées séparées. Après toutes ces années, cela te fait toujours un petit pincement au coeur lorsque tu franchis la grande porte et que tu rentres dans le préau. A chaque élection, tu te souviens de la seule fois où tu étais entré dans ce préau ancienne mode, haut de plafond, avec des dessins affichés sur les murs.
C'était lors d'un après-midi consacré à l'activité physique que l'on appelait "plein-air" en ces temps reculés (tout ceci se passait il y a environ 35 ans). La maîtresse que tu avais à l'époque t'avait envoyé en mission dans l'école des filles. Pourquoi toi? Parce que tu devais être un des élèves les plus sages. Pour toi on avait ouvert la porte de fer menant dans l'autre monde. Tu ne te souviens plus ce que tu devais aller chercher, un ballon, ou des accessoires quelconques pour préparer votre balle au prisonnier. D'un pas mal assuré tu t'es rendu jusqu'à ce préau. Il était plein de filles qui étaient en train de pratiquer un semblant de danse sur une musique nasillarde. Tous les regards s'étaient tournés vers toi. Tu as toujours été petit mais à ce moment précis tu t'es senti minuscule. Tu as probablement cherché le trou de souris qui t'aurait permis de t'enfuir. Sous les rires des filles, d'une voix étouffée, tu as timidement demandé ce que tu étais venu chercher. Tu ne te souviens pas de la suite, de ton retour chez les garçons et de l'avalanche de questions dont tes copains avaient du t'assaillir. Tu te souviens uniquement de cet immense malaise, de cet instant de gêne terrifiant. Alors quelque part, aller voter, pénétrer dans cette école, dans ce préau, sans trembler, c'est toujours une petite revanche.
C'est aussi t'arrêter dans un quartier où tu ne mets pas les pieds habituellement. C'est revoir ces rues, ces maisons, ces murs particuliers que tu longeais pour aller à l'école et pour rentrer chez toi. C'est aussi voir tout ce qui a changé. La parfumerie de la mère d'Hélène définitivement fermée, la maison de la presse transformée en café sinistre, la mercerie où on allait acheter le ruban devant entourer les livres de la remise des prix de fin d'année, transformée en appartement. Les jardins disparus, certaines maisons démolies, remplacées par de petits immeubles tristes. Mais c'est aussi la boulangerie où tu allais parfois acheter des bonbons aux noms étranges. Le café à l'angle de la rue des oeillets toujours aussi louche et inquiétant.
Tu as retrouvé tout cela aujourd'hui en allant voter avec ta fille, tu lui as montré ton ancienne école, lui racontant l'école des filles, lui racontant ces rues, ces trottoirs. C'est repenser aussi à cette époque ancienne et malheureusement bien révolue où l'extrême droite faisait un score insignifiant aux élections, même si ce soir les résultats de la gauche redonnent un peu espoir...
Tu avais oublié que c'était le printemps aujourd'hui. Les dates ont seulement la signification qu'on veut bien leur donner. Ca te permet de mettre cette chanson, surtout parce que tu aimes bien cet album de Donovan. Il a un accent extraordinaire sur cette chanson avec cette façon de rouler les R. Possible que peu de monde la connaisse, comme cet album, loin d'être le plus connu du troubadour anglais (warning : cliché detected). D'ailleurs même Donovan est plus ou moins oublié, voire totalement méconnu. Ce qui est bien dommage. Il a écrit de très belles chansons. Tu avais oublié que c'était le printemps aujourd'hui. Peut être parce que tu n'as pas envie d'y croire cette année...
Il était tard mais encore trop tôt. Après cette soirée, après ce concert des Pernice Brothers. Tu n'avais pas envie de rentrer, pas envie de te retrouver seul. Mais tu rentres. Tu sens le sommeil trop bien caché pour que tu ne le cherches tout de suite. Alors tu restes un moment dans la pénombre, assis dans ton fauteuil noir, les yeux fermés, laissant la musique de David Byrne te bercer. Histoire aussi de faire un peu de bruit pour éloigner les fantômes de la solitude. Tu finis par aller te coucher, sans grand espoir de sommeil. Tu attrapes le dernier n° des Inrocks laissant la parole à certains des signataires de l'appel contre la guerre à l'intelligence. Des témoignages, des points de vue d'anonymes qui loin de vouloir s'ériger en élite, n'oublient pas que l'intelligence et la culture sont des libertés fondamentales d'utilité publique de plus en plus menacées de nos jours. Ce soir tu payes le prix de trop de nuits trop courtes, il y a toujours un prix à payer. Ton esprit embrouillé n'arrive pas à formuler ses pensées, mais tu n'oublies pas que dimanche tu iras voter. Avant qu'il ne soit trop tard.
La nuit parisienne avait des saveurs estivales hier soir. Encore 15° à plus de minuit. Dans les rues, tu observes une légèreté qui n'était pas de mise il y a seulement quelques jours. Un parfum de printemps, peut être même d'été. Place Jussieu, tu regardais les filles qui passaient devant toi, tu les trouvais plus gracieuses, plus souriantes. Malgré cela, tu ne te dépares pas de ce sentiment étrange et mitigé face à ces beaux jours précoces. Le plaisir du soleil, de la chaleur, de l'atmosphère printanière est gâché par une sorte d'angoisse sourde. Un nouveau printemps auquel tu ne crois plus ou la peur de tirer quelques fantômes de leur hibernation. Tu n'arrives pas à savoir, à comprendre. Mais il y a ce sentiment persistant qui vient ternir tes rayons de soleil.
" Up in my lonely room When I'm dreaming of you Oh what can I do I still need you, but I don't want you now"
"Sweet thing, I watch you" Le soleil de ce matin donne un air moins sinistre au RER qui arrive sur le quai en même temps que toi. Tu grimpes dans le premier wagon. Il y a peu de monde. Slowdive dans les oreilles, tu te prends à examiner les personnes dans le compartiment. Il y en a trois qui lisent le journal, tous Le Parisien. A la une s'étale l'affaire Cantat/Trintignant. S'ils n'étaient pas connus en parlerait-on? Une femme en face de toi manipule son palm dernier modèle. Tu aimes bien les taches de rousseur sur le haut de son nez débordant sur ses pommettes. Elle est brune, pas particulièrement jolie mais un petit charme. Ses sourcils sont rectilignes, sans courbure, soulignant ses arcades marquées. Elle doit avoir un joli sourire. Enfin tu le devines car là, pour le moment elle ne sourit pas, le regard plongé dans le livre qui a remplacé le palm. Tu la regardes quelques instants. Tu arrives à St Maur/ Créteil. Le ciel bleu, le soleil, le paysage qui défile devant tes yeux et tu repenses à certains trajets un certain mois de mars. Tu souris. Elle a des yeux bleu foncé. Tu viens de les croiser furtivement. Elle replonge la tête dans son livre. "It matters where you are" Tu fixes d'autres visages un par un. Ce type avec une pierre à l'oreille, plongé dans le Parisien. La femme avec le Libé (enfin) et son air de prof de philo du siècle dernier. La grande brune aux cheveux longs qui ne sait pas quoi faire de ses jambes. Fontenay Sous Bois approche. Tu regardes le soleil qui frappe les vitres. Peu de temps encore avant que la mégalopole ne t'avale dans son ventre de béton. L'inévitable SDF passe dans le wagon. Sa jeunesse t'effraie, comme la détresse sur son visage qu'il essaie de masquer. Il semble vouloir rester digne malgré tout, malgré les regards, malgré le wagon suivant dans lequel il va répéter encore et encore son texte habituel. "As the sun hits, she'll be waiting" Entre le dossier et la barre de maintien, deux sièges devant, une jolie bouche et un nez encadrés de cheveux blonds mi-long croisent ton regard. Elle a l'air jolie. Son regard est perdu dans le vide, elle fixe le sol. Le soleil étend ses derniers rayons sur ses cheveux avant que le RER ne plonge dans les entrailles de Paris. Tunnel, noir, bruit, lumière. Tu lui trouves un air slave. Tu ne sais pas trop ce que cela signifie. Elle regarde les deux personnes en face d'elle. Tu te souviens d'un livre de science-fiction lu dans ton adolescence, contant l'histoire d'un homme contraint de s'isoler dans une grotte parce qu'il entendait les pensées des personnes autour de lui et ne pouvait faire cesser ce bruit permanent qui le rendait fou. Tu te dis que si l'on entendait les pensées de toutes les personnes dans ce wagon cela ferait un vacarme assourdissant. Nation, la fille descend. Mentalement tu lui dis au revoir. "Hey hey lover, you're still burning, You're his song yeah, Sweet thing I watch you" Tu descends à la prochaine. Tu ranges le cahier sur lequel tu notais toutes ces pensées depuis tout à l'heure. Toutes ces pensées vides, inutiles, sans intérêt. Cette ode à la vacuité. Tu te rends compte que la fille assise à coté de toi est mignonne. Pas jolie, mignonne. Charmante en fait. Non, charmante et mignonne. Tu ne l'avais pas remarquée. Brune, cheveux courts, des petites lunettes à monture noire. Tu aurais aimé qu'elle soit assise en face de toi. Dommage. Tu te demandes si elle a lu ce que tu écrivais. Ca te fait sourire. Gare de Lyon. Tu te lèves, prononce un mot d'excuse à son attention en passant devant elle. La fille te sourit. Elle a un sourire lumineux. Une fraction de seconde, tu voudrais rester là, comme ça, devant cette fille qui te sourit, pour prendre le temps de savourer cet instant, pour te repaître de son sourire, pour plonger ton regard dans le sien. Forcément tu te diriges vers la porte. Une fois sur le quai tu la regardes dans le wagon, de dos. Assez crétin pour espérer qu'elle se retourne. Tu n'as gravi l'escalier qu'une fois le RER disparu.
Et puis tout à l'heure, tu rentres en écoutant Donovan, le regard perdu par la fenêtre du même RER jouant à cache-cache avec le soleil déclinant. Tu lui écris que c'est idiot, mais que ce soir le soleil te fait peur. Il est maintenant couché et tu as encore peur...
"et il y a Sophie Calle à Beaubourg. Tous les diaristes devraient voir ça ! " écrivait-elle en novembre. Et tu es complètement d'accord. Même s'il t'a fallu attendre l'avant-dernier jour pour aller voir son exposition. La partie "douleur exquise" t'a particulièrement touché, cette séparation temporaire au départ qui devient rupture définitive, la manière dont elle a évacué sa douleur. Les séparations te touchent toujours. Et puis cette histoire de filature quotidienne volontaire t'a rappelé un personnage de Revenants de la trilogie New-yorkaise de Paul Auster dont elle s'est inspirée et avec lequel elle a collaboré. Lui-même s'étant inspiré de Sophie Calle pour un personnage de Leviathan. "Tous les diaristes devraient voir ça ! ". Oui, parce que bien entendu, "Douleur exquise" t'a, très modestement, fait penser à cette page, à ce que tu aurais pu en faire avec un peu d'imagination et de talent, à ce que tu pourrais faire en canalisant tes mots, en leur donnant une direction, un sens, un but... hum... finalement on en revient à ce que tu écrivais hier soir...
Puisque David n'est pas là, c'est toi qui a fait un dessin aujourd'hui. Enfin dessin est un grand mot vu la nullité de la chose. Tu as toujours voulu dessiner, peindre, jouer de la musique, écrire, avoir un don, un talent quelconque pour réussir à t'exprimer, et plus que tout pour toucher, pour émouvoir, pour transmettre des émotions, pour créer de la beauté, de la violence, de l'apaisement, des sensations. Malheureusement tu en es incapable. Le dessin, la peinture n'en parlons même pas. Pour le reste, même si parfois tu peux éventuellement faire illusion, tu sais qu'il n'y a pas de fond, pas de matière, pas de substance dans ce que tu fais. Ca ne ressemble qu'à un vague copiage laborieux, mal réalisé, sans style, sans originalité... surtout pour la musique pour laquelle tu n'es vraiment pas doué alors que tu aimerais tant. Tu resteras à jamais un auditeur, un spectateur, avec cette frustration parfois violente de ne pouvoir exprimer ce qui est en toi. Ou du moins avec cette impression que tu as quelque chose à exprimer. Ce qui n'est probablement pas le cas, ce qui expliquerait tout. Picasso aurait pu jouer de la trompette au lieu de peindre, Jimi Hendrix jouer du kazoo au lieu de la guitare, leur génie aurait probablement été le même, il se serait juste exprimé différemment...
"I know i don't understand how weightless they must be, Without feeling, Without feeling, Without feeling"
"Look into my eyes, You see trouble every day, It’s on the inside of me, So don’t try to understand". Sur i>télé hier soir, lors d'une édition spéciale à propos des attentats de Madrid, tu as été frappé par la force de certaines images. Pas des images spectaculaires, non, rien qu'une foule de manifestants, assis sur une place madrilène, frappant en rythme dans leurs mains et scandant d'une seule voix : HI-JO DE PU-TA ! "Look into my eyes, Hear the words I can’t say, Words that defy, And they scream it out loud". Il y avait une telle force dans ces manifestants, deux ou trois cent personnes, peut être plus, une telle rage dans leurs gestes, dans leurs mots qui s'élevaient violemment d'une seule voix. Elles peuvent paraître anodines ces images, en comparaison de toutes celles qui ont pu être diffusées depuis hier. Elles resteront pourtant dans ta mémoire. "And there’s trouble every day, There’s trouble every day".
"Oh people are shouting, people are freaking, I'm staring at the ceiling waiting for the feeling". Il est superbe cet album. Encore plus que le vol 1. Il est passé à moitié inaperçu. Il est pourtant rempli de chansons touchantes, poignantes même parfois, toutes empreintes d'une beauté voilée, un peu floue, à l'image de la pochette. Le flou... c'est probablement cette sensation qui te fait mettre cette chanson... cette photo également... avec l'impression persistante de voir le monde perdre sa netteté, comme si un voile humide s'interposait entre tes yeux et la réalité. "I know you cannot hear me now, 'Cause you're far away at the speed of sound". Est-ce parce qu'elle te semble de plus en plus étrangère cette réalité? Est-ce parce que tu refuses inconsciemment de la voir? Comme un désarroi qui gagne du terrain... "Makes me want it harder, makes me want to be a little stronger, Still I see monsters...".
Tu te réveilles et immédiatement tu le sais. Avant même que des pensées ne t'envahissent, ou au même moment. La chape de plomb est déjà là, présente, pesante. Avec cette sensation indicible de sentir se diffuser dans tout ton organisme cette déprime suintante et insidieuse. A peine réveillé et déjà tu ne souhaites qu'une chose, c'est être à demain. Pas à ce soir non, tu as trop peur de ne pouvoir affronter la recherche de ce sommeil fuyant. Non, demain, un autre jour, avant même que celui-ci ne débute. Sans savoir pourquoi d'ailleurs, pourquoi ce matin tout remonte comme des égouts qui débordent.
Tu te lèves. Toilettes. Salle de bains. Tu répètes ces mêmes gestes matinaux et machinaux. Ces gestes qui ne s'enchaînent que par la force de l'habitude. Tu te regardes dans le miroir, c'est à peine si tu peux t'apercevoir tellement tu te sens transparent, vide, ectoplasmique. Tu attrapes quelques vêtements. Tu t'habilles machinalement, couleur muraille pour mieux inexister. Tout sera tristesse aujourd'hui. Le gris à l'extérieur, ce manque de volonté, ce découragement, cette absence de mails dans ta boîte, cette foutue page parfois seul lien avec un monde extérieur qui te fuit. Tu es toujours à attendre quelque chose, un Deus ex machina hypothétique qui te sortirait de ce pseudo marasme existentiel minable et récurrent. Un matin à partir sur un coup de tête, à tout abandonner. Un matin où la lâcheté habituelle empêchera de toute manière toute réaction. Un matin sans personne à qui sourire. Comme les autres matins. Tu manges un yaourt, l'esprit vide et pourtant bouillonnant de toute cette poisse qui t'englue. Avec le poids du passé, de ces illusions envolées, de ces années perdues, de celles à venir, toujours plus noires, plus longues et trop rapides à la fois. Et cette solitude, ce manque, ces besoins, toujours les mêmes, toujours inassouvis, cette tristesse, comme une hydre démoniaque que tu n'arrives plus à combattre seul.
La voiture. Le même chemin habituel. Les mêmes feux rouges. Les mêmes croisements. Les mêmes rues. L'arrivée au bureau. La machine à café avec les premiers mots exprimés de la journée. Il y en aura peu, tu le sais, tu devrais les compter. Des premiers mots qui n'en sont pas. Un vague bonjour lancé aux deux ou trois personnes assemblées, des visages croisés plusieurs fois mais inconnus. Des personnes arrivées récemment certainement. A peine si on te répond. Tu n'es pas là, tu es absent, tu n'es qu'absence, tu n'es que vide, un triste fantôme qui hante sa propre conscience. Tu n'as pas envie de parler de toute manière. Juste laisser les mots se déverser sur la page. Les jours comme celui-ci, si l'on exclut les dialogues professionnels auxquels tu ne peux échapper, tu ne dois pas prononcer dix mots dans la journée. Que des banalités. Parce que tu ne sais pas aller vers les autres, et spontanément on ne vient pas vers toi. Alors tu t'assois derrière ton bureau, tu ouvres Word et laisses la sanie s'écouler de ton âme faussement blessée et meurtrie, ce matin, hier, demain, comme un pitoyable pantin cyclothymique aux sentiments désarticulés, en attendant demain ou un autre jour, le réveil de l'illusion dérisoire que tout peut encore changer.
Ca se dégrade. Pour la chanson du jour. Peut être pour le reste aussi d'ailleurs. Combien de temps, combien d'années sans écouter cette chanson. Pas loin de vingt ans probablement. Et puis ce matin tu mets cet album. Une envie subite. "Don't ask". Dans la voiture pendant que tu te rends au bureau à moitié assommé par le manque de sommeil, peut être pour la première fois, tu fais attention aux paroles de cette chanson. Terriblement d'actualité, terriblement dans ton actualité. "Don't ask me what it's like to be alone at night". Comme une évidence. Musicalement c'est de la pop un peu fadasse du début des 80', un peu mièvre sur les bords même si cette chanson sort du lot. Peu importe, tu es sentimentalement attaché à cet album. Reflet d'une époque lointaine. "Don't ask". Lointaine, mais parfois toujours si proche dans ses aspects les moins agréables. "And how do you sleep, I sleep alone ". Pourtant tu laisses se perdre de belles images, de jolies phrases. Volontairement. Le problème des désirs parallèles, c'est qu'ils ne se rejoignent pas, évitant les collisions sentimentales. "You ask me what's it like now, I've got no woman - don't ask"
Elle te trotte dans la tête cette chanson depuis quelques jours. Elle te trotte dans la tête et ne veux pas en sortir. Elle est tellement jolie sur la pochette aussi, tu comprends que Serge ait craqué. "Elisa, Elisa, Elisa, Saute moi au cou"... *** soupir ***
"Music in a foreign language, words that we don’t understand". Peut être est-ce à cause du dernier album des Pernice Brothers écouté pour la troisième fois depuis hier soir, de ce petit rayon de soleil qui vient frapper tes vitres, de ce petit bout de ciel bleu après les nuages et la pluie de tout à l'heure, d'autres choses aussi. Toujours est-il que ce début d'après-midi dominical se drape d'une certaine douceur. D'une certaine blondeur même. C'est le terme qui te vient à l'esprit. Il ne signifie rien, à part peut être cette douce lumière beige qui baigne ton salon. Un dimanche blond. C'est idiot. Y aurait-il des dimanches roux ou bruns ou... peu importe. Néanmoins les Pernice Brothers, comme Lloyd Cole sont des musiques brunes pour toi. Sans que tu puisses vraiment l'expliquer. Une histoire de filles probablement... A l'inverse, Léonard Cohen c'est de la musique blonde, comme Belle & Sebastian. Tu inventes des couleurs, des ambiances, des chaleurs, des frissons pour chaque chanson, pour chaque disque, pour chaque livre. Tu inventes des instants que tu n'arrives pas à vivre. Alors dans la douceur de ce dimanche après-midi blond, tu écoutes ce joli disque de musique brune délicate, un peu passé inaperçu à sa sortie. En rêvant à des brunes, des blondes ou des rousses...
Tu te souviens que tu l'avais acheté au BHV de Créteil-Soleil ce disque, il y a, pfff plus de 20 ans, en 81 ou 82. Il faisait beau. Tu ne sais pas pourquoi tu t'en souviens et ça n'a aucun intérêt, mais on devait être en mai ou juin et il faisait beau cet après-midi là. Il n'y a pas de date sur la pochette, tu ne sais pas en quelle année il a été enregistré, mais ça devrait correspondre à 1969 très probablement (confirmé ici). L'enregistrement d'un "récital" (comme ce mot à l'intérieur de la pochette est devenu désuet) à l'Olympia avec dans les musiciens, excusez du peu, Maurice Vander, Eddy Louiss et Bernard Lubat entre autres, ainsi qu'une section de cuivres. Tous ses grands classiques y passent ce soir là, dont une version pleine de puissance et de rage de Paris Mai résonnant encore des coups de boutoir des pavés parisiens de l'année précédente. Il n'a l'air de rien comme ça ce disque (un double album), mais c'est probablement grâce à lui que tu as commencé à écouter du jazz. Dave Brubeck bien sur, d'autres, une ambiance jazz prédominante, des prémices de nouveaux univers. Tu dois à Claude Nougaro de t'avoir ouvert cette porte musicale. Des années plus tard, sur Nougayork, sa reprise de Fables of Faubus te faisait acheter immédiatement Mingus ah um et découvrir Charles Mingus. Le jazz toujours...
Et puis plein de souvenirs te reviennent subitement. Les reproches de V. après un concert de Nougaro à l'Olympia. La fin de l'histoire approchait. Tu te souviens aussi d'un concert en 1992, en duo avec Maurice Vander où tu étais allé avec une autre fille. Un autre concert, une autre histoire. Celle-ci commençait le lendemain et allait durer trois ans. Il fallait choisir une chanson. Tu étais tenté par Une petite fille et "Une petite fille en pleurs dans une ville en pluie, et moi qui cours après...". Il y a également de belles versions d'Armstrong, de Quatres boules de cuir et de Sing-Sing song sur ce disque, mais pas moyen d'en choisir une. Tu avais déjà mis un extrait de cinéma. Alors, finalement, A bout de souffle sur le Blue rondo a la turk de Brubeck, caractéristique des adaptations que faisait Nougaro de ces standards du jazz , est idéale et représentative de ton rapport avec lui. Et puis, "Les palaces, le soleil, Le ciel bleu toute la vie toute la vie...". Claude Nougaro est mort jeudi dernier.
Ne pas vraiment comprendre... mais finir par te détester un peu plus au final... Un jour faire dérailler le train de ta fatalité avant qu'il ne soit trop tard, avant qu'il ne t'emmène trop loin... en attendant, chercher l'oubli... comme un vendredi...
"Moins on existe et plus on est de trop." Romain Gary (Emile Ajar) : Gros-Câlin
"I’m so tired, I haven’t slept a wink, I’m so tired, my mind is on the blink." Au fil des jours et des nuits, la fatigue commence à se faire envahissante. Ce matin, les paupières empesées par le sommeil perdu, tu sembles naviguer dans une sorte de brouillard cotonneux. "I’m so tired I don’t know what to do. I’m so tired my mind is set on you". Entre ces insomnie où toutes ces filles viennent te hanter, les connues, les inconnues, les rêvées, les fantasmées, les aimées, les perdues, les désirées, et ces sorties plus qu'agréables mais tardives, tu commences à fatiguer. Ce n'est peut être que le prix à payer pour ces instants plaisants et avoir le sentiment de vivre, d'exister. Hier soir en rentrant, tu te disais qu'il y avait une volonté de fuite dans ce besoin, cette envie actuelle de sortir souvent. Une volonté de fuir pour ne pas te retrouver face à face avec toi-même et ta solitude. Une volonté de te voiler la face, de masquer la réalité. Même si cela te rattrape toujours lorsque tu rentres seul au fin fond de ta banlieue déserte au milieu de la nuit. Tu te sens fatigué comme cet enregistrement officieux qui ne tourne pas toujours à la bonne vitesse, où la voix de Lennon semble s'évanouir par moment. La comparaison est plaisante, tu n'es peut être rien d'autre qu'une vieille bande magnétique usagée qui déraille de plus en plus… du moins ce matin…
" You know I’d give you everything I’ve got, For a little peace of mind".
Belle & Sebastianune nouvelle fois... Mais le soleil de ce matin, la sensation si rare de te sentir à peu près bien, avec ce petit regain d'énergie, voire même d'espoir, cette légèreté presque confiante, ça te fait penser à cet album. Ou inversement. A cause de Boston bien entendu et du souvenir impérissable de ce petit déjeuner avec cette chanson dans la chambre baignée par le soleil. Et puis cette petite trompette sautillante te met de bonne humeur. Tu ne sais pas pourquoi il y a des matins où tu ressens ces sensations malheureusement éphémères et inhabituelles. Tu sais que ce soir quand tu rentreras seul tout cela sera bien loin. Ta kiné avait mis un parfum à la mûre ce matin, ton bras, ta main gardent encore cette odeur si particulière, cette odeur qui te rappelle d'autres jours ensoleillés…
" You've been used, you're confused Write a song, I'll sing along"
C'est simple, tu le hais. Jusque là ça allait, mais depuis son concert hier soir à La Maroquinerie, tu le hais. Tu le hais pour ses chansons impeccables de 2'30'' maximum à la fausse candeur et aux mélodies imparables. Tu le hais pour sa voix claire, facile et affirmée. Tu le hais pour son croisement entre Mick Jagger et Joe D'Allesandro (Copyright Joëlle). Tu le hais pour la fragilité de ses chansons jouées seul à la guitare en rappel. Tu le hais parce qu'il fait craquer les filles avec ses petites manières faussement distanciées sur scène. Tu le hais parce qu'il embrasse les filles trop facilement sur la bouche à la sortie des concerts. Tu le hais parce qu'en plus il est petit. Tu le hais parce qu'il a du talent.
Heureusement qu'il y avait l'échancrure de la veste de la chanteuse en première partie (dommage pas de site), sa cambrure de rein et ses manières d'adorable peste pour compenser?
"we're not supposed to know each other. accept my apology."
"When I was younger, so much younger than today, I never needed anybody’s help in any way". Tu as eu l'impression de perdre pied complètement ce matin. Probablement parce que tu es réveillé depuis 3h00 du mat' sans pouvoir te rendormir, avec toutes ces idées noires trop présentes. Tu pensais pourtant depuis quelques jours avoir chassé ces démons, ces échecs, ces espoirs perdus, ces découragements, pas définitivement non, mais juste les avoir repoussés suffisamment loin pour qu'ils te laissent tranquille quelques temps. Tu en avais la volonté en tout cas. Mais ils étaient toujours là, à l'affût, tapis dans l'ombre, prêts à bondir à la moindre faiblesse. Cette nuit c'était l'embuscade.
"But now these days are gone and I’m not so self assured". Alors tu finis par te lever et la vue de ton visage blafard dans la glace de la salle de bain ressemble au coup de grâce et t'achève. Tu t'accroches au rebord du lavabo, tu penses à toutes ces personnes autour de toi dont tu as de plus en plus besoin, celles que tu apprécies, qui te soutiennent par leur présence, leur amitié, leur chaleur, leur complicité. "And I do appreciate you being around". Tu te dis que tu vas les voir cette semaine parce que tu sors presque tous les soirs, tu penses au concert d'Adam Green de ce soir, aux autres à venir. Alors le gouffre s'éloigne, lentement.
Les personnes qui te connaissent et te lisent ne doivent pas comprendre parfois le contraste entre tes mots sombres et l'image que tu donnes. Mais qui peut savoir ce qui te passe par la tête quand le soir tu finis par rentrer, invariablement seul, à la maison. Tes portes ne sont pas encore toutes ouvertes.
Ce matin tu as eu l'impression de perdre pied mais on t'a aidé. Sans le savoir. Ta dépendance affective s'accroît. C'est ainsi. Qu'importe. Tu voudrais juste dire merci à toutes ces personnes, elles se reconnaîtront.
Dresden Dolls : Dresden Dolls
Andrew Bird : The Mysterious Production Of Eggs
The Arcade Fire : Funeral
Rufus Wainwright : Want two
Nirvana : When the lights out
Eels : Blinking lights and other revelations
Beck : Guero
I am Kloot : Gods and monsters
The Smiths : The world won't listen
Hood : Outside closer
V.a : Golden apples of the sun
Jude : Sarah
Antony and the Johnsons : I'm a bird now
Black heart procession : 2
Lou Reed - John Cale : Songs for Drella
Pinback : Summer in abadon
Blonde Redhead : Melody of certain damaged lemons
Joy Division : Closer
Otis Redding : The definitive Otis