Et puis finalement on rentre dans sa coquille, un peu plus au fond peut être. Si au moins on s'en satisfaisait. Mais même pas. Qu'est-ce que tu fais là? A regarder par la fenêtre. Tu as envie d'un ailleurs. D'un ailleurs où elle serait. Tu te perds dans des conversations imaginaires où tu fais les questions et les réponses. Bonnes questions, mauvaises réponses. Ou l'inverse. D'énormes nuages défilent rapidement dans le ciel, portés par le vent. Pensées informes. Ta vie aussi. Et les images de désolation qui continuent à défiler. Plus vite que les nuages dans le ciel. Tu aimerais savoir. Pourquoi. Il n'y a pas de minute de silence. Comme lors du 11 septembre. Tu repenses à cette phrase de Steinbeck : "Dans l'âme des gens, les raisins de la colère se gonflent et mûrissent, annonçant des vendanges prochaines".
"Mother, mother There's too many of you crying Brother, brother, brother There's far too many of you dying"
On est là, tranquille, au chaud, à se regarder le nombril... Et puis c'est la désolation. Des milliers de morts et ce n'est pas fini... En 2003, 2,3 millions d'africains sont morts du Sida, soit plus de 6000 morts par jour. Presque dans le silence.
Parfois tu tournes en rond. Chez toi. Autour de la table du salon. Tu tournes en silence. Les pieds nus sur la moquette. Tu marches lentement autour de la table. En rond. C'est l'impatience peut être. Ou l'impuissance. Tu tournes en rond. Même assis, tu tournes aussi en rond. Et merde...
Il y a toujours un moment de flottement. Après ces fêtes. Surtout parce que ta fille n'est plus là. Tu passes l'après-midi à écouter des pirates acoustiques de Neil Young et à gratouiller ta guitare... Chaque noël te fait prendre un peu plus conscience du fossé qui se creuse entre toi et ta famille. Plus les ans passent et moins tu sais quoi leur dire, quoi leur raconter de ta vie. Au fil de l'année tu t'en rends moins compte. Hier soir, tu as suscité des reproches pour avoir coupé la télé, instrument obligatoire de leur distraction quotidienne. Après le repas, tu as fini assis sur le tapis, à jouer avec ta fille et ses cadeaux fraichement déballés, étranger à la conversation qui se tenait dans ton dos. Et puis vous êtes rentrés. Tôt. Chacun dans son monde qui s'éloigne de l'autre...
Il y a de nouveau du chocolat à la maison. Mais peut être que ça ne suffit pas. Il tombait une sorte de neige fondue lourde et froide cet après-midi dans les rues Parisiennes. Qui faisait rentrer la tête dans les épaules et courber le dos. Tu subis les intempéries comme tu subis trop souvent ton existence...
La nuit dernière, un rêve dont le thème semble devenir récurrent. Dans cette ville de province, tassée au fond d'une vallée entourée de montagnes élevées et verdoyantes, cette femme, différente des autres fois, qui cherchait à te séduire. Comme dans les autres rêves, elle est directe, sans détour. Tu voudrais résister, tu sais que tu dois résister, mais tu es attiré. Indéniablement. Et le soleil brillait derrière les vitres. Tu voudrais dire non mais ton corps glisse de plus en plus. Tu finis par te réveiller. Comme les fois précédentes. Troublé. Tu aimerais connaître le sens de ces rêves... et en même temps... il te fait peur à l'avance...
Dans les rues détrempées, les gens se pressaient, des paquets au bout des bras. Remontant le boulevard, les bus faisaient voler l'eau noire et sale. La ville était grise, d'un gris poisseux et crasse. Tu as finis par lever la tête. Les gouttes d'eau froide venaient frapper ton visage, se perdaient dans tes yeux. Il y a de nouveau du chocolat à la maison. Mais peut être que ça ne suffit pas...
Forty-four "and there's so much more"... C'est l'hiver aujourd'hui et il fait un temps d'hiver. Il fait de plus en plus un temps d'hiver.. au fil des ans... peut être parce que tu as souvent de plus en plus froid... "Live alone in a paradise, That makes me think of two." Of you aussi... surtout of you d'ailleurs... Lynch-Bages 1991, histoire de... Il y avait de la neige dans les rues, en bas, près de la gare... "Love lost, such a cost, Give me things that don't get lost." Au fil des ans, des personnes qui ne vieilliront plus, à qui tu ne peux plus rien souhaiter... des absences involontaires... de plus en plus nombreuses... quelle différence entre hier et demain... aucune tu le sais bien... et en même temps, juste la même qu'entre les regrets et les espoirs...
"Old man take a look at my life I'm a lot like you I need someone to love me the whole day through"
Elle dit Ca fait mal mais ça repousse. Les ailes. Mais ça fait mal. Quand ça tombe. Pas quand ça repousse. Là c'est plutôt agréable. Quand ça repousse, il y a juste la crainte de les perdre à nouveau. Parce que ça fait mal justement. Des douleurs qui ne s'oublient pas. Comme tatouées au fond de soi. Tu n'as jamais su pourquoi ces périodes de fins d'années font remonter des souffrances mal enfouies, pas encore gommées... et puis cette année, des rêves plein la tête, des rêves silencieux, étouffés, comme si tu avais peur de les voir disparaître en ouvrant le tiroir secret dans lequel tu les dissimules. Ou bien est-ce simplement parce que tu n'oses y croire...
"Hey Wait I've got a new complaint Forever in debt to your priceless advice"
Samedi dernier, en descendant les petites rues menant vers le port de Barcelone, dans une petite boutique en longueur, située pas très loin d'un luthier avec une plaque de rue française accrochée au mur disant "rue de Bonneuil", un homme d'âge mur, un Pakistanais vraisemblablement, se réchauffait les pieds et les jambes derrière son radiateur électrique. Il y avait un peu de tout dans son échoppe. Des tuniques colorées, des écharpes en laines bariolées, des ballons de foot aux couleurs du Barça... Mais surtout, on entendait Nusrat Fateh Ali Khan sur le poste posé sur l'étagère. Un album que tu connaissais. Tu t'es mis à battre la mesure sur ta cuisse tout en chantonnant la mélodie. Tu t'es trouvé en connexion avec ce monsieur d'un seul coup. Par le seul fait de la musique diffusée dans sa petite boutique. Tu n'as pas osé lui parler, lui dire que tu connaissais ce disque. Peut être que cela lui aurait fait plaisir. Mais tu ne parles pas Espagnol et en encore moins l'ourdou. Alors vous êtes sorti et avez continué votre promenade au hasard des petites rues... Sur cet album étonnant, Jeff Buckley reprend une de ses chansons. Avant de chanter, il explique que Nusrat est son Elvis. C'était peut être son Elvis a lui également, au monsieur dans son magasin, dans cette petite rue à Barcelone, le week-end dernier, avec le soleil qui descendait au loin dans le ciel...
Ce vent. Ce vent terrible. Qui se glisse dans les interstices de la baie vitrée du salon pour siffler une mélopée sinistre. Comme une alarme qui sonnerait sans fin. Les hauts de hurlevent. Ne manque que la lande brumeuse. Ce vent, ce vent terrible. S'il pouvait te porter loin d'ici, près d'elle. Et ces petites choses, des riens futiles parfois, ces petites choses prévues, faites, partagées à deux. Donnant parfois l'illusion de faire doucement disparaître le flou... Les vacances. Pour une semaine. Et cette période toujours étrange, aux rues illuminées, dans une joie un peu obligée. Dans le journal, rien pour te rassurer. L'humain, de plus en plus, réduit à rien. Un monde aux contrastes en expansion. De moins en moins net.
Il n'y a plus de chocolat à la maison. Eternel idéaliste, tu y crois toujours à cette aube nouvelle, ce nouveau commencement. Mais ce soir il n'y a plus de chocolat à la maison. Un épiphénomène. Bien sûr. De la chambre d'hôtel, on entendait le carillon de l'église d'à coté. "Y a toujours un carillon qui résonne, au fond du port de Barcelone". Tu pourras dire ce que tu veux. Le soleil, le ciel bleu. Oui certes. L'ambiance. Tous ces gens dans la rue. Ces drôles de gens dans des déguisements invraisemblables sur le rambla, ces petites rues, cette foule européenne. "Et la statue du marin qui pointe encore du doigt l'amérique". Ce qui est faux d'ailleurs. Pas la bonne direction. Enfin, dans un sens, si. La terre est ronde après tout. Alors d'une manière ou d'une autre... Tu pourras dire ce que tu veux. Les courbes graciles de la casa Batlló. Ou du Parc Güell. Cet étonnant petit restaurant sur la plaça reial. Oui. Ca pourrait être tout ça. Mais c'était tout simplement elle. Sa présence, son sourire. Son rire. Tout ce que tu ne diras pas. Oui c'était surtout ça. "...and I'm feeling good". Oui. Feeling good... Ce soir il n'y a plus de chocolat à la maison. Et c'est bien dommage... "même si son air est monotone, il peut pas chanter pour personne..."
Hier soir, dans le bus qui vous conduisait à l'aéroport, tu lui dis oui. Oui tu vas mettre Barcelone de Capdevielle malgré le ridicule de la chose... et puis ce matin, dans le train, alors que les arbres givrés, figés dans leur beauté glacée et éphémère, défilaient sous tes yeux, contraste saisissant avec les 17° de la veille, tu n'as pas eu le coeur... Tes images, tes souvenirs flottent encore trop devant tes yeux comme des particules de poussière en suspension dans un rayon de soleil... tu dois les laisser reposer, pour bien tapisser les parois de ta mémoire de tout ce que tu ne veux garder que pour toi. Alors ce matin, comme dimanche dans ce petit café de la carrer de Ferran, devant un café, ce matin oui, alors que parfois jaillissaient de la brume ces arbres blancs surprenants, tu écoutais cette chanson, souhaitant à nouveau, ne pas retrouver l'album sur laquelle elle figure...
Partir. Enfin. Partir... Demain. Partir c'est mourir un peu. Il est des morts moins douces. La retrouver enfin... Avec toujours ce petit pincement à l'estomac. Ce petit pincement et toujours la crainte qu'il ne devienne morsure. Partir demain. Et partir encore. A deux. Enfin... Partir. Plus loin. Tu ne tiens plus en place ce soir. Comme un noyé qui se débat pour regagner la surface. Et aspirer à plein poumon cet air qui te manque. Aspirer. Rageusement. Avant de plonger à nouveau. Il y a une chanson de Wilco qui dit : "Oh, distance has no way of making love understandable". Réduire la distance. Le reste aussi. Peut être. Avant de repartir. Et de mourir à nouveau. Beaucoup plus durement au retour, qu'à l'aller...
"Kill me before you die, kill me before you die, Cos I love you, Cos I love you"
C'est quoi cette course sans fin. Ces horaires. Cette productivité. Rentabilité. Courir. Toujours. Sans prendre le temps de penser. Elle s'en va où la vie qu'on laisse échapper. Celle que l'on ne prend plus le temps de goûter. De laisser filer entre ses doigts. C'est quoi cette vie. Artificielle comme l'éclairage aux néons des bureaux. C'est quoi cette vie. Qui n'en est pas une...
"Life's just much too hard today" I hear ev'ry mother say The pursuit of happiness just seems a bore"
Elle dit : "Elle ne sont pas souvent gaies tes chansons". Certes. Tu as de quoi faire déprimer la moitié de la planète avec ta discothèque. Tu as même du mal à savoir ce qu'est exactement une chanson gaie. Les Buzzcocks pour toi par exemple c'est gai. Ou beaucoup de chansons des Belle & Sebastian. Ou L'air de rien de David. Ce soir quand il a fallu choisir une chanson gaie justement, ça n'a pas été simple. Ta notion de la gaité doit être un peu particulière... What came first? The music or the misery... Naturellement tu t'es tourné vers la Motown parce que s'il y a des chansons qui te donnent la pêche ce sont bien celles-ci. Et cette reprise de Stephen Stills c'est un vrai rayon de soleil qui entre par la fenêtre le matin, lorsque l'on sait que la journée va être extraordinaire et que pour une fois, on va marcher la tête haute, le regard droit et le pas assuré dans la rue. Voilà, une chanson gaie, ça ressemble à ça.
Elle vient de là. Ta deuxième personne du singulier. Ce "tu" évoqué dans les commentaires ci-dessous. Son emploi quasi quotidien sur cette page trouve son origine dans ce livre. Dans ce livre et les émotions dont ce "tu" était porteur. De l'implication plus forte qu'elle semble faire naître dans le lecteur. Du recul permettant de s'examiner pour la personne qui l'utilise. Dans d'autres émotions connexes et personnelles. De ses remarques sur l'écriture également. Il est étonnant de voir, comme, lorsque tu te mets devant l'écran pour écrire une note ou lorsque tu y penses avant, quelque soit le lieu, ton cerveau se met à fonctionner immédiatement à la deuxième personne. Tu n'es plus "je". Tu es "tu". Et pourtant tu ne parles que de toi...
"Tu pensais qu'il te suffirait d'être assis là, penché sur le papier. Prêt à tout et d'abord réceptif à tes propres pensées, tu n'aurais qu'à laisser émerger celles-ci pour, peu à peu, sans douleur, amalgamer l'encre aux fibres de la cellulose, filer des mots, tisser des phrases. Tu croyais sincèrement que l'écriture est une activité manuelle requérant des outils, de la constance et du temps, et que, de l'usage de ces derniers sur l'expérience unique dont tu te savais dépositaire, un texte naîtrait, porté par ton seul désir. Tu as bientôt découvert que ce n'est pas aussi simple. [...]Tu découvres que les mots ne sont faciles à tracer que lorsqu'ils sont inconsistants. Tu ne savais pas que la glaise doit être longtemps pétrie pour prendre un semblant de forme, et qu'il y a loin de la forme à la cuisson. Les forces te manquent. Une telle dépense d'énergie te parait dérisoire. Est-il possible que tout ce que tu remues ici ne soit qu'anecdote ?" Martin Winckler : La Vacation
Le froid. Qui glace le sang, les os, l'âme, le coeur. Le froid de ce futur qui te semble inéluctable. Le froid du silence. L'hiver qui s'ouvre. Une nouvelle fois. L'impression qu'il revient de plus en plus vite, au fil des années. Au fil des amours.Tu te tournes vers le soleil du week-end prochain pour ne pas te geler le coeur trop vite. Il te faut trouver des aspérités pour t'accrocher, pour ne pas sombrer. Tu n'as pas assez brûlé durant ta jeunesse pour avoir encore assez de feu à l'intérieur. Tu perds ton souffle à tenter désespérément de garder allumé un feu pâle qui s'éteint inexorablement...
"we're not supposed to be lovers or friends like they'd have us believe we're not supposed to know each other accept my apology"
Flash-back du passé... terrible... il y a deux ans... même lieu ou presque où tu vas marcher ce midi, même froid, mêmes gestes ou presque... même sensation de vide ou presque... mêmes causes... même conséquences...
Même pas fait à manger... à quoi bon... seul... fait chier... tu grignoteras... ou pas... plus tard peut être... la distance... ouais... il y a des soirs... surtout quand elle pèse plus lourd dans l'un des plateaux de la balance... enfin c'est facile aussi... elle est belle cette chanson... triste un peu... enfin non... peut être pas... la petite trompette à la Love ça tu adores... tu fais défiler des photos... tu t'attardes... sur certaines... belle c'est sûr... il y a des soirs... sûrement il ne faut pas... c'est le milieu de semaine aussi... le creux de la vague... tu ne peux pas nier... la distance oui... le manque et tout ce qui va avec... quelque soit le nom que l'on donne à tout ça... et qu'est-ce exactement que tout ça... y a pas que ça... en fait c'est comme s'il y avait deux chansons en une... c'est la deuxième moitié qui est plus triste... c'est toujours la deuxième moitié la plus triste... de toute manière... enfin c'est la musique... ce petit quelque chose... ce coté étouffé... même pas fait à manger... à quoi bon... tu grignoteras plus tard... peut être... c'est ça aussi... peut être... peut être... à quoi bon...
"You wrote a book about yourself The people left it on the shelf You'll write another one Now you've got a story that's worth talking about
Are you happy with yourself? Are you talking to yourself? Are you happy with yourself? Put the book back on the shelf"
Dresden Dolls : Dresden Dolls
Andrew Bird : The Mysterious Production Of Eggs
The Arcade Fire : Funeral
Rufus Wainwright : Want two
Nirvana : When the lights out
Eels : Blinking lights and other revelations
Beck : Guero
I am Kloot : Gods and monsters
The Smiths : The world won't listen
Hood : Outside closer
V.a : Golden apples of the sun
Jude : Sarah
Antony and the Johnsons : I'm a bird now
Black heart procession : 2
Lou Reed - John Cale : Songs for Drella
Pinback : Summer in abadon
Blonde Redhead : Melody of certain damaged lemons
Joy Division : Closer
Otis Redding : The definitive Otis