Tu ne peux plus écouter Léonard Cohen sans penser à cette fille. Ou alors tu l'écoutes parce que tu penses à elle. C'est grâce à elle que tu as plongé plus profondément dans ses disques. Egalement parce que vous l'avez beaucoup écouté, tous les deux, dans la voiture, dans ces chambres d'hôtels de passage, le soir tard, le matin au réveil. Certainement pour "I loved you in the morning, our kisses deep and warm, your hair upon the pillow like a sleepy golden storm", pour ces matins où le soleil pénétrait par la fenêtre et venait se lover entre elle et toi, au creux des draps. Pour cette petite route sous le soleil méridional avec Dance me to the end of love. Ce n'était pas son album favori. Trop sombre certainement. Des mélodies sèches comme les pierres brûlantes d'un chemin de terre poussiéreux sous le soleil aride. Un minimalisme trop austère et solitaire pour elle. Trop de souffrance également. Elle préférait plus de douceur. C'est ton préféré maintenant. Tu ne peux plus écouter Cohen sans penser à elle. Tu as mis plusieurs fois Songs for a room depuis hier soir, c'est peut être bien pour cela...
"Des yeux à casser des cailloux Des sourires sans y penser Pour chaque rêve Des rafales de cris de neige Et des ombres déracinées."Paul Eluard
Elle était belle dans ton rêve ce matin. Mais ce n'était pas ça l'important. C'était tout ce qui se passait. Dans les regards. Dans les gestes. Voilà. En fait, tu devrais t'arrêter là. Il n'y a pas grand chose à dire de plus. Ces quelques vers d'Eluard, cette belle chanson. C'est bien suffisant. Pas besoin de venir gâcher cette beauté avec tes mots qui n'en sont pas. Il y a tellement plus dans les quelques notes de ces mélopées au fil des jours, tellement plus que ce que tu n'arriveras jamais à exprimer. Parfois, quand tu passes devant un miroir, tu ne t'aperçois même plus...
Tu aimes bien ces vendredis soirs qui n'en sont pas. Comme hier au concert de Nicolai Dunger. Etre surpris de sa simplicité, de sa timidité. Discuter ensuite dans la rue, devant le petit garage, un verre à la main, dans la douceur de la nuit parisienne, parler de plein de choses et arriver à King Crimson et même Magma. Rire. Vivre. Savourer l'instant sans s'en rendre compte. Et puis ensuite le vide, toujours, qui finit par arriver, quand la fête est finie, les lumières éteintes, quand tu rentres seul dans le fond de ta banlieue, déserte, comme la place à coté de toi dans ton lit. La fatigue salvatrice qui assomme. Ce matin tu te lèves rapidement pour ne pas sentir cette absence envahissante. Sans hésiter tu mets cette chanson. Le sud te manque. Ce soleil si particulier du matin, l'atmosphère transparente, le bleu liquide du ciel, les couleurs si pures, les premières odeurs, la douceur de la peau caressée par le vent... "You make my life and times A book of bluesy Saturdays And I have to choose..."
Ca fait deux matins que tu te réveilles avec lui. Deux matins où tu te lèves beaucoup trop tôt par rapport à tes heures de sommeil en retard. Un peu plus de deux matins en fait. Deux matins où tu n'arrives pas à soulever le poids de la nuit pour te lever. Deux matins où tu attends la 7ème chanson pour profiter de l'allant généreux de Wishing Wells pour secouer ta carcasse fatiguée. C'est étonnant comme parfois la fatigue exacerbe le désir sexuel. Ou alors c'est parce que depuis deux matins il te faut un temps de réflexion avant de reconnaître Ron SEXsmith. Peut être le premier mot qui frappe ton esprit. Wishing Wells. Faut pas rêver. Tu peux en faire des voeux. Mais faut pas rêver. Pour cela il faut dormir.
"Wishing wells are fine in fairy tales but they've got no business here..."
Tu écoutais cette chanson hier soir tard, en gratouillant ses trois accords sur ta guitare, assis par terre à coté de la platine, pour avoir l'illusion d'accompagner Bruce. Dès qu'il joue en acoustique et qu'il raconte ses histoires de paumés, ce type impose le respect. Il était passé à Nulle Part Ailleurs un soir, seul, avec sa guitare acoustique noire et son harmonica. Quand il a commencé à chanter les premiers vers de The River tout le monde retenait son souffle. C'est un frisson tellurique qui a parcouru le public à cet instant précis, tu étais tétanisé devant ton écran. Nebraska, c'est l'histoire d'un couple de losers qui flinguent à tout va sans véritable raison, racontée du fond du couloir de la mort. Sans regret, ni compassion. Stewart O'Nan s'en est probablement inspiré pour écrire Speed Queen. Dans ce livre on croise tout l'univers de ces laissés pour compte de l'Amérique Reaganienne dont Springsteen truffe ces chansons. Cadillac ranch, Wreck on the highway et Racing in the streets en toile de fond. Superbement traduit par Philippe Garnier au passage. Une plongée dans l'univers des chansons du Boss. Dans My life is good, Randy Newman raconte qu'il croise Bruce Springsteen au Bel-Air Hôtel et celui-ci lui demande "How would you like to be the Boss for a while?". Dans la chanson il répond non Randy. Il a ses raisons. Par contre, s'il cherche toujours, tu veux bien prendre sa place à Springsteen, même pour une heure, juste pour chanter au moins une fois correctement The River et Nebraska. Juste pour ça. Et pour les frissons.
Tu rentres de l'énergique concert des Zutons au triptyque hier soir, pour découvrir qu'après une coupure de courant, il t'est impossible de te reconnecter à internet. Ce matin non plus. Malgré des appels à wanadoo et France Télécom. Le plus est difficile est de prendre conscience à ce moment là, de la dépendance que tu peux avoir vis à vis de ce monde plus ou moins virtuel, avec cette sensation subite d'isolement. Ta vie est-elle si vide qu'elle ne tienne qu'à un fil? Tu voulais mettre quelques photos, parler de ce concert, d'Abi, la mignonne et pétillante saxophoniste (as-tu rêvé ou a-t-elle réellement les yeux bleus?), de la jolie photographe qui était juste devant toi et à qui tu n'as pas osé parler à la fin du concert. Mais ce matin tu ressens comme un désarroi débile face à cette défaillance technique, miroir cruel te renvoyant tes propres failles et la fragilité de ton équilibre d'une précarité effrayante.
Peut être que ce soir, si la connexion ne fonctionne toujours pas, tu prendras ta guitare pour aller sur les bords de marne ou dans un parc, peu importe où, pour massacrer quelques chansons, dans l'espoir de connexions éphémères ou d'apporter un peu d'émotion à des inconnus. Un peu comme tu essayes de le faire ici parfois...
Du bleu plein les yeux, plein la tête. Au bout de quelques minutes à fixer ces tableaux, la dimension cosmique apparaît comme évidente. Tu regardes les silhouettes irréelles flotter devant ces toiles. C'est étonnant comme l'esprit est attiré par ce bleu quand on le fixe. Il donne le vertige. Surtout le bleu II.
Tu essayes de faire bonne figure, parfois même tu y crois. Tu te mens tellement bien que tu finis par y croire. Ca ne dure pas. Ca te tombe dessus tout le temps. Tu trimballes ça accroché à tes basques. Cette tristesse, cette solitude, ce désespoir latent, cette insatisfaction. Surtout cette insatisfaction chronique. Aujourd'hui, à l'expo Miró où tu es retourné, devant les trois bleus, tu te demandais si tu n'étais pas venu là uniquement pour voir du monde, la beauté des toiles n'étant qu'un pseudo alibi culturel. Sad-eyed Lady of the Lowlands en bande son. Les beautés se fondent. Le bleu s'accentue au fil des trois tableaux pour finir par remplir l'espace de manière quasi uniforme. Plongée ultime dans le rêve. Le corps perd sa matérialité. Tu t'agites de plus en plus pour faire croire que tu existes encore. Mais tu restes ce que tu as toujours été, un ectoplasme vide de sens. C'est comme cette page, ce semblant d'existence.
Tu te perds dans ces toiles comme tu voudrais te perdre dans le bleu des yeux de ces filles. Il y a quelque chose d'effrayant dans tes abandons. Tu regardes les visiteurs défiler dans cette salle. Quelles sont leurs failles, leurs déchirures, leurs faiblesses, masquées derrière des apparences bien souvent austères, ternes, lisses. Pourquoi faut-il cacher sa fragilité?
Tu es resté assez longtemps dans cette salle à fixer ces grands tableaux, bercé par la douceur de la musique. Flottant dans ce bleu onirique. Avec "blonde on blonde on my portable stereo" comme le chante Nada Surf.
A la librairie tu fais l'acquisition de Bleu : histoire d'une couleur. A la caisse tu souris à la fille. Elle te souris également. Peut être n'est-ce qu'un sourire commercial. Peu importe, tu lui souris à nouveau. Autant faire bonne figure. Elle avait les yeux bleus.
"What are you, in love with your problems? I think you take it...a little too far It's...not so cool to have so many problems But don't expect me to explain your indecisions... You walk, you talk...You still function like you used to It's not a question...Of your personality or style Be a little more selfish, it might do you some good"
Elle est venue se placer derrière toi à la caisse du petit supermarché tout à l'heure. Adorable. Charmante. Tu lui souris. Elle t'ignore. L'indifférence totale. Tu n'as aucune présence. Nul. Zéro. La transparence extrême. Sur le parking, tu passes à coté d'elle. Tu la regardes en chantant "Oh, oh baby, Oh oh oh, I could live with you in another world" avec Richard Hell qu'elle ne connaît certainement pas. Tant pis pour elle. Tu montes le son. Tu la regardes disparaître dans le rétroviseur en souriant. Sur la pochette de cet album mythique, il est inscrit Thanks to Lizzy Mercier. Pensées.
20.05.2004 16h30 Place de la Sorbonne. Le dernier Badly Drawn Boy dans les oreilles. Elle a des yeux d'un bleu incroyable. Transparent. Deux tables devant toi. Des longs cheveux bruns. Jolie. Pas belle, jolie. Surtout ces putains d'yeux bleus transparents. Elle ne te regarde pas. Le regard masqué par tes lunettes de soleil tu l'observes, cherchant à te perdre dans ce bleu transparent. Une pétasse sans intérêt étale sa poitrine dans son petit débardeur à la table d'à coté. Flûte, compte tenu du monde à cette terrasse, elle a changé légèrement l'orientation de sa chaise. Tu ne vois plus ses yeux. Juste son profil de trois quarts arrière. C'est bien ta chance. Son coca est presque terminé. Tu aimerais être la rondelle de citron dans son verre. Pour effleurer ses lèvres à chaque gorgée. Et fixer ses yeux bleus, transparents à en tomber. Voilà elle va partir. Ah non, c'est son amie. Pour le moment elle est seule. C'est idiot, ton cœur bat tout de suite un peu plus vite. Que faire? Peut être attend-elle quelqu'un d'autre. Non. Son amie revient. Tant pis.
Pendant ce temps, Badly Drawn Boy continue sa mélopée. Il est beau cet album, plus sombre que les précédents. Ton regard est attiré vers la droite. Deux jeunes filles et leur mère. On dirait deux jumelles. Le même sourire désarmant. 18, 20 ans. Pas plus. Tu perds pied. C'est marrant, la mère a des converses roses. Ca te fait sourire. Elle est encore très belle. Quelque chose de plus profond que ses deux filles. Des traces de douleurs jamais envolées. Tu as pris ses pieds en photo. Discrètement. L'air de rien. Comme elles sont jolies ces filles. Une surtout. Des yeux bleus encore. Mais différents. Elle a un petit caraco noir qui met en valeur sa blondeur insouciante. Son sourire de profil te fascine. Tu en oublies presque les yeux bleus transparents. Tu restes là, muet et soudainement tu échanges un sourire avec une des deux filles. Trop tard, elles partent. Trop vite. Tu voulais juste, les regarder, encore un peu. Un rêve éveillé.
Les yeux bleus transparents sont penchés sur un magazine d'annonces immobilières. La solitude te tombe dessus. Sans prévenir. Pourquoi le regard des filles ne se pose jamais sur toi? Sur le débardeur de la touriste allemande à la table de droite il est inscrit "l'amour est bleu" dans le dos. L'amour est bleu… c'est une jolie phrase. Bleu comme les yeux de ces filles inaccessibles. Place de la Sorbonne. 17h30. Tu te sens seul au monde.
Tu refermes le carnet où tu notais tes délires. Tu sélectionnes le dernier album des Shins sur ton lecteur et tu descends le boulevard St Michel d'un pas décidé en chantant les la la la la des choeurs sur Saint Simon. Frappé de biais par les rayons du soleil, tu marches sur le boulevard encombré, porté par un instant de folie insouciante, tu chantes tes la la la la de plus belle, amusé du regard en coin des passants...
Tu n'aimes pas les week-ends d'été où dès le matin la chaleur accentue la solitude en expansion. Où elle se fait étouffante. Tu en as passé trop ces dernières années, à désirer celle qui n'était pas là. Tu n'as plus personne à désirer mais tu ne les supportes pas plus ces matins là. Où la lumière du soleil et le ciel bleu sont quasiment insultants par l'image qu'ils te renvoient. Il faut sortir, il faut sortir tu te dis. Allez en terrasse, regarder les filles. Mais voilà... il y a cette gangue de torpeur qui t'écrase. C'est étonnant comme certaines sensations semblent tatouées à l'intérieur. Indélébiles. Comme cette solitude moite, comme ce manque dévorant, comme cette lente désagrégation. Prêtes à se rappeler à ton souvenir comme une vieille blessure de guerre. A force d'ignorer cet état latent, à force, il attaque par derrière, sournois. Tu restes abasourdi, devant ton écran, écoutant Sonic Nurse. Attendant de dissiper le nuage délétère flottant devant tes yeux...
"It's so simple and so stupid yet so steady are you ready i am not"
Il y a des soirs où il n'y a rien d'autre à faire qu'écouter la musique. De toute manière il n'y a plus rien qui sort. Le goût à rien. Alors juste écouter la musique, lente, triste un peu, pas trop, belle, les yeux fermés. Rien d'autre.
"Old songs, stay to the end Sad songs, remind me of friends And the way it is, i could leave it all And i ask myself, would you care at all"
Tu voulais écouter un groupe de filles ce soir. C'était ton idée. Comme ça. Envie d'un groupe de filles. Tu crains que la phrase ne sonne horriblement. Mais bon... tu as ressorti cet album, mis un peu de coté sans raison particulière, dans la masse des choses à écouter. Et puis d'un seul coup les petits Uh huuuh lancés au refrain, sur cette rythmique aux influences post velvetiennes, te font complètement craquer. Le morceau parfait pour cette journée sous le soleil. Les Uh huuuh de Verity ont la candeur, la fraîcheur, la légèreté dont tu as besoin ce soir. Tu voulais écouter un groupe de filles peut être pour ne pas trop y penser justement. Aux filles. Une façon de détourner tes pensées. Pas certain que tu aies réussi...
"I bet I'd like your underwear, I bet I'd like your underwear, You got it down, You got it down, Uh huh"
Tu as acheté un carnet hier. Format A5. A l'intérieur il y a plusieurs sortes de pages. Certaines avec des lignes tracées comme sur un guide de papier à lettre. D'autres à petits carreaux. D'autres vierges, pour des croquis. Tu ne sais pas si tu les utiliseras celles-ci. Peut être que oui finalement. Sur la couverture il y a la reproduction d'un tableau de Miró. Ce n'est pas pour cela que tu l'as acheté. Ou plutôt si. Pour le titre. Tu l'as trouvé totalement adapté à l'objet même de ce carnet. Il était une petite pie. Comme une pie voleuse. Parce que tu vas t'en servir pour chiper des instants, des petits moments d'existence et les inscrire avec une pointe fine dans les pages de ce carnet.
Tu aurais bien mis quelques notes de cette superbe chanson de David Byrne au croisement de Léonard Cohen et de Tindersticks. Tu aurais bien mis un petit morceau du quatuor à cordes, un zeste des choeurs, quelques touches de piano, et la voix comme un trait en pointillé soulignant le tout. Ou bien est-ce l'inverse. Tu as juste mis quelques mots dans un coin de la première page, attrapés au vol. Peut être uniquement pour t'y raccrocher. Il est même possible que cela soit la raison pour laquelle tu as acheté ce carnet...
Tu aimerais savoir, pourquoi certaines couleurs te touchent plus que d'autres. Tu aimerais savoir où est le siège des émotions que ces couleurs inspirent, évoquent, dégagent. Pourquoi ce rouge, ce bleu, ce jaune vibrent plus profondément en toi? A quels souvenirs, quels plaisirs, quelles frustrations, quelles douleurs font-ils appel?
Tu te posais toutes ces questions aujourd'hui, avec ta fille à l'exposition Joan Miró à Beaubourg. Les couleurs de Miró sont tellement chargées d'émotions. Ses bleus bien entendu, ses jaunes, ses rouges, ses marrons extraordinaires des peintures-poèmes ou les incroyables moirès/dégradés des peintures d'après collages de 1933 découverts à la fin de l'exposition. Juste avant le choc. Juste avant de découvrir dans la lumière tamisée de la dernière salle, les trois bleus, habituellement exposés au musée d'art moderne. Tu ne peux décrire l'impression ressentie en découvrant ces trois immenses toiles bleues dans lesquelles on semble se noyer. Il y a une telle douceur dans ce bleu, une telle magie. Ces peintures semblent atteindre une dimension cosmique, hors du temps, hors de tout. Un espace immense d'oubli, d'abandon. Tu aurais pu rester des heures devant ces trois toiles indissociables si ta fille n'avait pas été avec toi.
Tu y retourneras pour t'imprégner de toutes les couleurs de la peinture de Miró. Tu iras surtout t'asseoir devant ces trois bleus fascinants devant lesquels tu chercheras l'oubli. Tu voudrais également mêler les émotions musicales à celles de ces couleurs. Tu prendras ton lecteur mp3, pour un instant, juste un trop court instant, ne plus exister et accompagner tes rêves bleutés de musiques mélancoliques traversées de fulgurances électriques.
"Blue, here is a shell for you Inside you'll hear a sigh A foggy lullaby There is your song from me"
Tu as eu une vision étonnante tout à l'heure, en fin d'après-midi au bois de Vincennes. Près du petit lac proche de l'hippodrome, sur un bout de clairière, il y avait là un nombre important de personnes âgées, regroupées autour de petites tables, visiblement en train de jouer aux cartes. Les groupes étaient assez espacés. De manière naturelle. C'est probablement pour cela que tu as trouvé cela étrange. Ils ne donnaient pas l'impression de former un groupe, d'être ensemble, mais semblaient totalement indépendants les uns des autres. Comme peuvent l'être des personnes allongées sur l'herbe, une belle journée de printemps. Seulement ici, il n'y avait que des gens du 3ème âge. Comme si le reste de la population avait disparu. Une vision terrible. Le naufrage de la vieillesse te fait peur...
Tu mets cet album de Bob Marley après en avoir parlé dans la soirée. Tu aimes bien les rebonds comme cela. Ces fils que l'on tire au gré des conversations. Cette chanson est d'une noirceur terrifiante, sans espoir. Mais malgré tout, la musique conserve une certaine légèreté, une certaine candeur. Peut être le juste équilibre. Celui qu'il faut peut être atteindre pour ne pas sombrer.
Peut être est-ce toi, ton imagination débordante, ou ton coté rêveur exacerbé, mais parfois, tu peux tomber amoureux en une fraction de seconde, juste pour une silhouette entraperçue, un regard, un sourire. Ce matin, à coté de la médiathèque, la fille a juste traversé la rue perpendiculaire à la tienne. Ses longs cheveux bruns, son jean, son pull mauve un peu bariolé. Son sourire, son air avenant, son regard jugé vif même si à peine aperçu. Parfois, juste avec quelques détails, quelques traits du visage, associés à un aspect vestimentaire, une prestance, tu arrives à imaginer les traits de caractère de la personne. De manière erronée très probablement. Enfin, ce matin, la jolie demoiselle avec ses longs cheveux bruns, avait une personnalité droite, franche, simple, fraîche. Elle semblait avoir le sourire toujours prêt à éclater. Son allure, les couleurs de son pull, sa forme, laissaient deviner un certain rejet du conformisme, une certaine ouverture d'esprit. Quelque part, dans la douceur de ses traits, tu y as lu de la gentillesse, de la compréhension. Tu es tombé amoureux d'elle. Comme ça. Love at first sight. En une fraction de seconde. Une fulgurance soudaine transperçant ton corps et ton esprit. Forcément elle ne t'a pas vu. Et quand bien même. Le problème maintenant, c'est que tous les matins, en passant près de la médiathèque, tu vas espérer la revoir. Ce qui ne changera pas grand chose. Hum... pitoyable... et d'une vacuité sans fond...
"You were sorry that i was alone So sorry that you run away. Putting it on me but you already knew it. It never meant a thing."
C'est certain. Tu devrais être en train de dormir. Normalement. Tu as débuté l'installation de ton nouveau PC ce soir. Cela a suffit pour chasser le sommeil. Tu restes là, hébété, sans parvenir à te décider à aller te coucher. Sans savoir pourquoi tu tournes en rond sans bouger. Peut être pour te laisser bercer par cette chanson toute la nuit. Cette chanson qui sent la poussière, la fatigue, la lassitude, la fuite, pire que ça encore. Ca vaudrait peut être le coup, de partir nulle part comme cela. Une errance un peu désespérée, au hasard. Sur les routes. Sur LA route. Avec toujours cet espoir illusoire de laisser derrière soi la déprime poisseuse qui colle aux semelles. C'est certain, tu devrais être en train de dormir...
Tu te réveilles difficilement, avec cette fatigue qui t'engloutit à la première pensée. Avec les images de ces filles irréelles en persistance rétinienne, des corps que tu voudrais étreindre. Tu te fais peur devant la glace. Tu as grossi. Le rasoir arrache ta peau. Des gestes comme des tôles froissées, un disque abrasif sur de la rouille, des fracas de pensées désordonnées. Tu te traînes au bureau avec l'impression de te faire broyer un peu plus dans l'engrenage. Tu voudrais, sous le soleil, marcher dans les rues, regarder les gens, sourire, sentir un peu plus, la vie couler dans tes veines, dire aux filles, qu'elles sont jolies, prendre le temps, juste ça, rien d'autre parfois, juste, prendre le temps?
"And your life is filled with confusion, And happiness is just an illusion" chantent les Four Tops dans la voiture ce matin, sous cette pluie qui ne s'assume pas. Un rêve bizarre, inabouti, un réveil brusque. Le froid qui agresse, un besoin de te blottir. Mais il n'y a personne. Une journée à passer en perte avant même qu'elle n'ait débutée. Avec la sensation de te sentir étranger à tout. Comme si le monde te parvenait filtré, étouffé, déformé. Ce soir, presque naturellement, tu mets Neu !, parfaite bande son d'un quotidien en déliquescence...
Tu n'y connais rien en musique brésilienne. Quelques vagues chansons, des grands classiques, quelques artistes, les plus connus et c'est tout. Pourtant, au fil de ce que tu découvres depuis quelques temps, il semble y a avoir des tonnes de trésors. Comme cet album de João Gilberto écouté ce midi chez David. Invariablement, ce genre d'ambiance feutrée, intimiste, avec uniquement cette guitare acoustique et ces quelques percussions, te transporte sur une plage, le soleil disparaissant à l'horizon, savourant par avance la fraicheur relative de la nuit tropicale. Des clichés... certes agréables, mais des clichés tout de même, et cette musique mérite beaucoup plus que ça. C'est là où cela devient un problème. Il te faudrait plus d'une vie pour prendre le temps d'écouter, de découvrir toutes ces musiques intéressantes. Celle-ci et d'autres, tellement d'autres. Sans évoquer les livres... On en revient au temps, toujours au temps, surtout celui qui manque, tu n'en parlerais pas sinon, on ne désire que ce que l'on n'a pas...
Il pleuvait également le samedi il y a deux ans, pour ce même week-end. C'était le 11, pas le 8, mais il pleuvait. Et ça vient de te tomber dessus comme si un immeuble s'effondrait sur toi. Oui, tu te souviens. Il avait fait un temps pourri au possible. Comme aujourd'hui. Presque comme aujourd'hui... C'est étonnant comme d'un seul coup tous les souvenirs reviennent. Comme une vague déferlante trop longtemps contenue. Ce petit déjeuner à la maison après avoir traîné longuement au lit. Tu lui avais enlevé son peignoir dans le salon pendant qu'elle regardait les disques... Le bain pris à deux. La voiture sous la pluie. Tu avais mis une compil des trois premiers albums de Joe Jackson. Elle avait classé sa voix dans la catégorie Costello. Elle avait eu une jolie phrase pour le dire. Ca t'avait fait sourire. Elle avait souvent de jolies phrases. Le petit restaurant vers Odéon. Les photos de Paris regardées chez elle. Tu lui avais fait l'amour sur le canapé. Il pleuvait toujours. Vous aviez regardé l'eau ruisseler sur les vitres en écoutant les drôles de reprises sur Strange little girl de Tori Amos. Tu n'avais pas réussi à reconnaître Reign in blood. Puis tu étais rentré. Seul. Sous la pluie. Le soir même, sur ton blog de l'époque, tu avais mis ces quelques paroles de Spain. Le lendemain il avait fait beau... deux ans... et ça te paraît tellement loin...
"It was love, Only love, Only love, ,Oh then why Do I feel So alone, Love, Only love, It's only love, I'm waiting for you to come"
Tu as rêvé d'elle tôt ce matin. Tu as rêvé d'elle et elle était belle. Le lieu était un peu étrange, une sorte de cafétéria, avec une mezzanine surplombant une grande salle. Les tables étaient proches les unes des autres. La lumière artificielle, jaunâtre. Un décor de plastique années 70 de mauvais goût. Elle était assise à une table avec d'autres personnes. Tu t'es assis en bout de table, à ses cotés. Elle a tourné la tête vers toi. Tu n'as pas su quoi dire. Tellement surpris de la voir dans ton rêve. Un choc. Elle souriait pourtant. Mais ça ne collait pas. Tu n'as pas réussi à soutenir son regard qui te manque tant. Elle n'aurait pas du être dans ce rêve. Ce n'était pas sa place. Tu as choisis la fuite. Tu t'es réveillé.
Dans la voiture ce soir, en rentrant sous le ciel bleu, certainement à cause des ambiances de la musique de Swell, tu t'es remis à penser à ces fin de journées d'hiver ou de printemps que tu passais souvent dans le sud de la France il y a quelques années. Ces soirées où la lumière est si belle, si douce sur ce fond de ciel bleu. Bien sûr, s'il n'y avait pas eu M. ces souvenirs, ces sensations ne seraient probablement pas enfouis aussi profondément en toi. Tu t'es revu avec elle, sur cette autoroute qui traverse le Lubéron, une jolie fin de journée de mars, avec cette chanson dans la voiture. Tu ne peux l'écouter sans revoir le soleil disparaître derrière la chaîne des Alpes trouant l'horizon, avant d'arriver à Sisteron. Avec le long ruban de l'autoroute qui défilait devant vos yeux comme l'on dit dans les romans de gare. Cette chanson est tellement associée à cet instant précis, à cette fin d'après-midi aux parfums d'été précoce, au week-end qui a suivi, que tu peux presque sentir de nouveau le parfum de M., tel qu'il flottait dans la voiture ce soir là...
Une journée de repli. Peut être le gris du ciel qui finit par déteindre. Un coup de lassitude. Le contrecoup peut être. Tu ne sais pas. "So why does the wind go howling her name?" Ta solitude sentimentale finit par s'accrocher à toi comme les coquillages se fixent aux rochers, insensibles aux vagues et aux marées. Avec la peur de plus en plus présente de ne pouvoir briser cette gangue de torpeur qui durcit au fil du temps. "Lord, Lord, can you hear me, oh, I am not well, And I spend all my time here in this cell of my heart". Tu écoutes cette magnifique reprise d'Hederos & Hellberg. Il devait faire sombre chez Ryan Adams le jour où il a écrit cette chanson. "I have no one and I am counting on you, now that I'm old, And I'm so scared of dying alone." De plus en plus tu devrais taire tes mots vides et prétentieux. Il y a tellement plus dans toutes ces chansons. Il y a un paradoxe incompréhensible dans tes abandons impudiques et ce sentiment de honte vis à vis de tes écrits. Tes mots ne sont que des leurres destinés à te rassurer ou te faire croire à un semblant d'existence. Vanitas, vanitatum, et omnia vanitas...
"Are your angels just children laughing insane At the fools we are as men? Well go count me in."
La tête encore remplie des volutes du concert de Sophia, tu te lèves trop tôt. Complètement en décalage avec tes phases de sommeil, tu as l'impression de porter ton corps comme un paquet trop lourd pour toi.
Dans l'avion, tu ne peux échapper à la conversation de tes collègues. L'avion n'est supportable que près du hublot, à coté d'une jolie fille. Pas cerné par des collègues de travail un mardi matin, mal réveillé. Une jolie fille... tu la regarderais discrètement, détaillant son profil. Tu pourrais presque sentir la douceur de sa peau rien qu'en examinant le grain et le velouté de celle-ci. Elle aurait un livre devant elle. Un écrivain japonais. Edité chez Actes Sud. Une histoire mélancolique de garçon à la recherche d'une fille. Elle poserait parfois son livre, aurait un regard lointain vers les nuages défilant derrière le hublot. Peut être croiserait-elle le tien. Perdu dans ta musique, tu la regarderais, essayant de deviner des parcelles d'existence, des bribes de pensées. Puis ses longs doigts fins reprendraient le lent défilé des pages de son livre, les mots naviguant devant ses yeux.
Tu fais semblant. La conversation suit son cours mais souvent ton esprit s'évade. Tu penses à elle. A l'azur de son regard. Tu serais tombé à la renverse si elle t'avait appelé ce matin. Pourquoi l'aurait-elle fait? Peut être pour ces quelques mots hier matin? Tu rêves de l'impossible. Peut être lui ressemblerait-elle, ta passagère fantôme. Elle aurait repris la lecture de son livre. Parfois elle esquisserait un petit sourire, un petit sourire nostalgique, comme si les mots qu'elle lisait lui rappelaient des souvenirs heureux mais disparus. Elle n'a certainement pas envisagé de t'appeler ce matin. En admettant qu'elle y ait pensé, le faire serait un aveu qu'elle ne peut se permettre.
C'est certain. Elle lui ressemblerait. Tu aurais arrêté ta musique depuis longtemps. Attendant le petit instant propice pour éventuellement, si jamais ces foutus mots voulaient bien germer dans ton esprit, lui glisser timidement une remarque sur son livre. Tu sais que tu vas rester muet. Alors peut être que tu tirerais un bloc de papier de ton sac. Tu lui écrirais un mot, pour lui expliquer combien tu l'as trouvée jolie, dans cet avion triste. Combien le jeu de ses longs doigts fins tournant les pages de son livre te fascinait. Tu lui expliquerais toute la douceur ressentie dans son profil délicat, dans les rais de lumière se déposant sur son visage. Tu lui avouerais avoir voulu rester comme cela, des heures durant, à la regarder en silence, juste pour voir la lumière changer ses reflets sur son visage. Tu ne signerais pas la lettre. Tu ne mettrais ni nom ni numéro de téléphone. Rien. Tu lui expliquerais avoir écrit celle-ci anonymement pour qu'elle garde un souvenir de son vol. Pour qu'elle se rappelle que ce jour là, un inconnu probablement un peu trop rêveur, lui avait avoué l'avoir trouvée particulièrement jolie dans la lumière filtrant par le hublot. En quittant l'avion, tu lui aurais glissé la lettre pliée en quatre, sans un mot. Tu aurais bien marqué les pliures pour qu'elle soit obligée de s'arrêter pour déplier la feuille et la lire. Tu aurais peut être glissé un "pour vous" dans un souffle. Puis tu serais parti vite, ne te retournant même pas. Enfin si, peut être une fois... Quand même... Tu aurais l'espoir, que le soir, en se couchant, elle pense à toi. Tu n'es pas certain qu'elle se souvienne de ton visage mais peu importe. L'idée qu'elle pense à toi la nuit, dans son lit, ça te suffit. Forcément tu aurais espéré qu'elle te rattrape ou qu'elle te cherche dans l'aéroport. Elle t'aurait peut être retrouvé devant la file des taxis... mais tu rêves toujours de l'impossible...
Non, l'avion n'est vraiment supportable que près du hublot, à coté d'une jolie fille...
"oh, can you hear that sweet sweet sound yeah, i was lost but now i'm found sometimes there's nothing left to save that's how you sing amazing grace"
Le soleil. Le parc de Sceaux. Une nouvelle fois, des rencontres intéressantes, étonnantes. Toutes ces personnes te donnent de plus en plus envie. Le phrase peut paraître étrange comme cela, avec le point juste après envie. Sans que celles-ci soient précisées. Juste envie. Juste des envies. De plus en plus nombreuses, de plus en plus fortes. Sans que tu saches quoi en faire. Tu sens le spectre de l'inaboutissement comme une ombre derrière ton dos. Trop de doutes. Tu gaspilles tes énergies dans cette lutte intestine contre toi-même. Toujours ces mêmes boulets accrochés à tes chevilles qui finissent par t'épuiser. Pourtant... pourtant, là, à l'intérieur, tu sens une petite force supplémentaire...
Dresden Dolls : Dresden Dolls
Andrew Bird : The Mysterious Production Of Eggs
The Arcade Fire : Funeral
Rufus Wainwright : Want two
Nirvana : When the lights out
Eels : Blinking lights and other revelations
Beck : Guero
I am Kloot : Gods and monsters
The Smiths : The world won't listen
Hood : Outside closer
V.a : Golden apples of the sun
Jude : Sarah
Antony and the Johnsons : I'm a bird now
Black heart procession : 2
Lou Reed - John Cale : Songs for Drella
Pinback : Summer in abadon
Blonde Redhead : Melody of certain damaged lemons
Joy Division : Closer
Otis Redding : The definitive Otis