Kill Me Again (Kill me Sarah, Kill me AGAIN with love...)
(Chroniques égocentriques : The Soundtrack Of Your Life)
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mercredi, février 18, 2004

Les falaises d'Etretat (fin)

Au fur et à mesure qu'il s'approche, il se rend compte que la silhouette n'est pas un peintre mais une jeune fille qui regarde vers l'horizon, immobile. Il reste à distance respectable pour ne pas troubler son recueillement. Il se dégage une certaine prestance de cette fille. Son immobilisme force le respect. Depuis combien de temps est-elle comme cela? Il l'avait remarqué tout à l'heure, avant de s'asseoir au bord de la falaise. Elle n'a apparemment pas bougé depuis cet instant et elle se trouvait peut être là bien avant. Il ressent une détresse, une douleur dans cet immobilisme.

Ses cheveux bruns sont balayés par le vent. Elle semble avoir froid. Il peut presque percevoir son tremblement. Il s'approche délicatement, silencieux, à quelques mètres, comme fasciné. Il l'observe. Elle ne l'a pas entendu arriver. Il ne voit que son dos, dans son manteau noir, et ses cheveux menant une danse infernale sur la musique du diable jouée par le vent. Il ne voit pas son regard mais il sait qu'il est fixé, vide, sur l'horizon, sur la courbure de la terre, perdu là bas, loin, à l'endroit où la mer se mêle au ciel. Il se demande ce qu'elle pense. Il se dit qu'elle a peut être les mêmes pensées que lui tout à l'heure. Alors d'une voix mal assurée il lui dit "parfois on voudrait pouvoir s'envoler, loin, là bas, ailleurs, s'envoler, ne plus toucher terre, disparaître dans un souffle". Il a à peine terminé sa phrase que la fille s'est retournée vers lui, les yeux plein de colère et de larmes. "Je viens ici pour être tranquille et il faut qu'un conna…". Il n'entend pas la fin de sa phrase. Tout se referme en lui. Il courbe la tête, rentre les épaules, se recroqueville en lui-même. Bien sur. La fille s'éloigne d'un pas colérique. Bien sur. Lui aussi était venu pour être seul mais il n'aime pas ça. Bien sur. Pour une fois qu'il osait parler à une inconnue. Il n'aurait pas du venir. Bien sur. Il a dû la vexer en la surprenant de la sorte, en voulant faire le malin. Il se sent vraiment en dessous de tout en ce moment. Bien sur.
Il ne sait pas quoi faire, reste là, paralysé, regardant timidement la fille s'enfuir nerveusement. Il se sent accablé par une solitude encore plus grande.

Il trouve une pierre sur laquelle s'asseoir quelques instants. Il reste là, se prend la tête dans ses mains. Il faut toujours qu'il gâche tout. Une chanson lui revient à l'esprit comme bien souvent. Les chansons, les livres, les mots des autres, c'est un catalogue d'excuses, de prétextes, pour auto-justifier ses propres erreurs. C'est une manière de dire, regardez l'explication est là, ou regardez je ne suis pas le seul. C'est l'absolution artistique. Mais qui leurre t-on à part soi-même dans ces cas là? Enfin là, en l'occurrence, la chanson de Jude qui lui revient à l'esprit dit : "It only kills me 'cause I'm alive, and living this disaster, And it's all I can do now to survive". Au moins c'est une belle chanson se dit-il.

Il a bien conscience du coté pitoyable de la situation. La quarantaine passée, amoureux solitaire et sans espoir, assis là, sur une pierre, en plein milieu de ce plateau déserté en cette fin de matinée, au beau milieu de ses désastres sentimentaux qui semblent s'étaler là sur l'herbe autour de lui comme des bagages éventrés, au beau milieu de la vacuité de son existence. Il voudrait pleurer, il n'y arrive même pas.

Il entend soudainement un bruit de pas derrière lui. Machinalement il ouvre ses mains et regarde dans cette direction. La fille de tout à l'heure s'arrête immédiatement lorsque son regard se pose sur elle. Les bras croisés sur son ventre, les cheveux lui balayant le visage elle le regarde silencieusement. Lentement, il se relève, lui fait face à quelques mètres, n'osant bredouiller les excuses qui lui semblent s'imposer. Il la trouve jolie malgré ses yeux rougis et son visage fermé. Non, pas jolie, charmante. Voilà, il lui trouve du charme avec cette esquisse de sourire fragile comme pour masquer la douleur qu'elle ne veut montrer.

- Merci dit-elle brusquement. Merci, pour tout à l'heure…

Il ne comprend pas. Tout son visage doit exprimer son incompréhension, son impuissance. Elle va pour faire demi-tour devant son silence lorsque, d'une voix timide, il réussit à prononcer quelques mots :

- Euh… je… puis-je vous demander…
- Non le coupa-t-elle immédiatement. Non. Vous pourriez mais non. Vous pourriez plein de choses… mais non.
- Je comprends. J'ai pris un abonnement longue durée au non dit-il en baissant les yeux.

Il l'entend tourner les talons et s'éloigner doucement. Il relève alors la tête pour la regarder partir. Il a l'esprit vide, ne comprend pas, même s'il croit deviner la raison de son merci. Mais comme d'habitude, il ne comprend pas son éloignement. Il ne comprend plus rien depuis longtemps de toute manière. Ni lui, ni les filles qu'il croise.
Il reste là, à la regarder rejoindre le chemin de terre et prendre la direction d'Etretat d'un pas calme. Et puis, au moment où elle va commencer à descendre vers la plage, il la voit se retourner vers lui. Elle s'arrête alors, regarde quelques secondes dans sa direction, puis reprend sa marche du même pas calme et posé. D'où il se trouve, il n'a pu voir son visage ni son regard. Il la regarde disparaître.
Il entend derrière lui la mer qui se fracasse au pied des falaises. Sur sa droite, le plateau s'étend au loin. Devant lui, le golf désert. A sa gauche, il aperçoit la falaise d'amont et devine le trou où se niche Etretat et où vient de disparaître l'inconnue au manteau noir. Il se sent perdu comme jamais.

Il hésite à se mettre à courir derrière cette fille, hésite à rester où il se trouve, hésite à continuer à marcher le long de ces falaises, hésite à rentrer à la maison, hésite…

Il lève les yeux vers l'écran où il vient de taper ces derniers mots. Prend sa tête dans ses mains. Oui, ça, pour hésiter…
Il n'est pas parti à Etretat. Il n'en avait pas le courage. Alors il est resté à se morfondre devant son écran, se lamentant sur son sort, inventant cette histoire minable. Espérant des mails ou des appels qui n'arriveront pas, espérant bien plus que cela.
Il n'est pas parti parce qu'elle n'a pas voulu l'accompagner. " Il lui avait proposé, il voulait partir avec elle. Mais il comprend qu'elle ait refusé, qu'elle n'ait pas voulu venir marcher avec lui sur les falaises d'Etretat" et il ne sait rien faire pour lui. S'il avait de l'humour, il pourrait presque dire qu'il manque de savoir vivre.

Le disque est fini depuis longtemps, il reste là dans le silence, contemplant son écran et ses derniers mots péniblement arrachés à son esprit fatigué, se disant que ce n'était pas la bonne semaine pour arrêter de fumer, se disant qu'il n'osera bientôt plus rien lui proposer, se disant qu'elle n'imagine sûrement pas à quel point il était heureux de les voir sourire et rire toutes les deux aujourd'hui. Heureux, et triste en même temps... pour tout un tas de raisons...

"Vivre, ce n'est ni respirer, ni souffrir, ni même être heureux, vivre est un secret que l'on ne peut découvrir qu'à deux."
Romain Gary : Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable

Kill Me Sarah | 00:30 |


Ego
Sexe : M / Age : 44
Profession : Aucun interet
Situation : Helplessly Hoping

14 jours à La Baule (Pdf)

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